
La récente convention démocrate pour l’investiture de Kamala Harris et de son colistier Tim Walz à l’élection présidentielle américaine a totalisé 211 prises de parole, avec un processus de validation en 51 étapes pour chacune ! Politiciens, artistes, acteurs de la vie civile… tous ont fait leur discours devant 50 000 personnes réunies au United Center de Chicago pendant quatre jours.
Pour relever le défi, l’agence Fenway spécialisée en communication politique a réuni des dizaines de coachs, d’auteurs et d’experts en stratégie.
Imaginez la pression sur leurs épaules. Après que Joe Biden ait tardivement mis un terme à sa candidature, ils n’ont eu que quatre semaines pour préparer cet événement hautement stratégique, retransmis en direct sur les chaînes d’info continue et les réseaux sociaux. Sur le plan politique, il devait donner l’impulsion d’une relance en fanfare pour les deux nouveaux candidats démocrates.
La master class en intelligence émotionnelle du discours de Michelle Obama
Parmi les personnalités les plus attendues, Michelle et Barack Obama ont fait sensation auprès d’un public partisan, certes déjà chauffé à blanc. Il ne faudrait pas écarter pour autant leur professionnalisme et leurs compétences d’orateurs. Même devant un public acquis, il convient de dépasser ses attentes et de montrer que l’on s’est bien préparé pour lui.
La prise de parole de Michelle Obama a marqué tous les esprits par son authenticité et son efficacité. Les thèmes s’enchaînent avec des transitions d’une fluidité exceptionnelle. Elle évoque d’abord l’espoir que suscite la candidature démocrate - “Hope is comeback” - puis son deuil de sa mère décédée deux mois plus tôt et son désir d’honorer ses valeurs et ses engagements civiques. Puis elle fait le lien avec la mère de Kamala Harris qui partagent les mêmes valeurs : “She’d often tell her don’t sit around and complain about things, do something!”
Elle plébiscite alors le parcours de la self-made woman Kamala Harris jusqu’au poste de vice-présidente des États-Unis. Elle critique l’attitude du candidat adverse né avec une cuillère d’argent dans la bouche et sans considération pour celles et ceux qui font les efforts de s’en sortir et de progresser. Elle salue ceux qui agissent : “In America, we do something!” Cette citation de la mère de Harris devient un motto qu’elle adresse à chaque membre de l’auditoire. “Do somethnig!” sera répété sept fois, parvenant habilement à faire en sorte que la foule scande elle-même le slogan. Elle a fait de son call-to-action le véritable fil rouge de son discours.
La parfaite prise de parole de Michelle Obama
La façon avec laquelle elle délivre son speech est tout autant remarquable. Le texte défile sur des prompteurs qu’elle lit à peine. Elle s’en sert comme points de repères. C’est évident, elle connaît son texte. Elle s’exprime avec naturel tout en ayant une technique parfaite : articulation, ton, rythme, projection vocale. Elle est dans le moment présent, elle n’anticipe pas les phrases et les idées à venir. Chaque mot est prononcé comme si elle le disait pour la première fois. Bien entendu, ce n’est pas le cas. Elle a répété son discours pour ne pas bafouiller, pour savoir quels mots scander, pour anticiper les pauses régulières et prendre le temps de respirer.
Elle n’est pas en force une seule fois. Pourtant, elle doit avoir le trac. Mais elle est pleinement concentrée sur le public et l’impact qu’elle souhaite avoir sur lui. Elle veut éveiller les consciences, stimuler la motivation de chaque partisan de la United Center et de millions d’autres devant leurs écrans.
Bien qu’elle parle de temps en temps d’elle-même, elle n’est jamais autocentrée. Tout son être est entièrement dédié à sa mission : améliorer la vie des autres. De cette manière, en se mettant pleinement au service de son auditoire, elle peut s’oublier, diminuer le stress de sa prise de parole, car seuls les autres comptent pour elle.
Comme toute excellente oratrice, elle est en dialogue permanent avec son public, faisant des pauses, des gestes, des sourires et des regards en fonction des réactions de l’auditoire. Elle s’adresse à toute l’arena, elle cherche les regards du public pour mieux sentir et évaluer son impact sur celui-ci.
Parvenir à ce niveau de maîtrise est rare. Seuls les grands artistes apprennent à dialoguer avec les foules de dizaines de milliers de personnes. Michelle Obama est l’une des oratrices les plus efficaces et les plus professionnelles de sa génération.
Les méthodes de préparation de Michelle Obama
À 60 ans, Michelle Obama n’est pas devenue comme par magie une oratrice hors pair. En plus d’une préparation approfondie pour ce jour-là, elle met à profit ses apprentissages tout au long de ses nombreux entraînements passés. Ce sont plus de seize ans de pratique de prises de parole qui la propulsent au firmament des meilleures oratrices du monde.
Dans son autobiographie “Devenir”, elle décrit le processus pour optimiser ses prises de parole.
1. La motivation
Pour arriver à ce niveau d’excellence, elle a travaillé dur. Surmonter ses échecs, remonter en piste, essayer encore, ne rien lâcher lorsque l’on apprend quelque chose de nouveau demandent une solide motivation. À propos de ses huit ans en tant que première dame et de la pression ressentie, elle déclare : “J’ai été vigilante, prudente et profondément consciente que la nation nous observait, Barack, moi et les filles, et qu’en tant que noirs dans la bien nommée Maison-Blanche, nous ne pouvions pas nous permettre la moindre erreur.”
Pour emporter l’adhésion du plus grand nombre sur ses projets et atteindre ses objectifs, elle savait qu’elle devait parfaire ses compétences en communication. La raison pour laquelle elle s’est lancée dans ce long chemin pour devenir meilleure à l’orale est sa vocation d’améliorer les choses pour son pays et de venir en aide aux autres. C’est sa source de motivation. Et lorsque l’on peut se connecter à ce qui nous aspire vraiment, nous pouvons toutes et tous réaliser de grandes choses.
2. Le problème à résoudre
En 2008, Michelle Obama participe à la campagne électorale de son mari plus que n’importe quelle autre épouse dans l’histoire. Elle qui n’a aucun goût particulier pour la politique reçoit coup sur coup et se démoralise.
“J’étais une femme, une femme noire et une femme forte, ce qui, pour certaines personnes imprégnées d’une certaine mentalité, ne pouvait vouloir dire qu’une chose : j’étais une “femme noire en colère”. C’était là un stéréotype dégradant qui avait toujours été utilisé pour reléguer les femmes des minorités dans les marges, un signal inconscient invitant à ne pas écouter ce que nous avions à dire”.
Elle entre dans une spirale négative. La colère finit par monter en elle, ce qui aggrave la situation, car cela revenait à donner raison à ses détracteurs. “Si personne ne nous écoute, pourquoi ne pas crier plus fort ?”
Même les médias non partisans, comme la radio publique NPR, posent la question : “Michelle Obama est-elle un atout ou un handicap ? D’une sincérité rafraîchissante ou trop franche ? Son physique imposant ou intimidant ?”
3. Le feedback honnête qui permet la prise de conscience
C’est David Axelrod, le chef en stratégie et conseiller média de la campagne présidentielle, et Valérie Jarrett, conseillère politique, qui font prendre conscience à Michelle Obama de ce qu’elle pourrait modifier dans son style de communication. “Ils essayaient de me montrer qu’il y avait dans ce processus de petits détails que je pouvais mieux contrôler, se souvient-elle.
Ils ont repassé mon discours type de campagne, sans le son, pour faire abstraction du contenu et étudier de plus près mon langage corporel et, plus particulièrement, mes expressions faciales. (…) Mon visage reflétait la gravité des enjeux que je défendais, il disait combien le choix qui s’offrait à notre pays était important. Mais il était trop sérieux, trop sévère - du moins pour ce que les gens attendaient d’une femme. (…) Personne ne reprochait à Barack d’avoir l’air trop sérieux, de ne pas sourire assez. Mais, puisque j’étais une épouse et non une candidate, on attendait sans doute de moi un peu plus de légèreté, de frivolité.
(…) En étudiant la vidéo de mon discours ce jour-là, j’avais les larmes aux yeux. Je venais de comprendre qu’il y avait dans ce jeu politique un côté spectacle que je ne maîtrisais pas encore totalement. (…) J’étais plus efficace dans les petites réunions. Il était plus difficile de communiquer chaleureusement devant de plus grandes salles. Face à une foule, il fallait que mon visage ait des expressions plus claires, et c’était là-dessus que je devais travailler.”
4. L’analyse pour identifier les causes du problème
L’équipe de campagne, pleinement dédiée à Barack Obama, n’avait jamais vraiment beaucoup conseillé son épouse. Jusqu’à présent, aucun membre ne s’était donné la peine de l’accompagner ni même d’assister à ses meetings. Elle n’avait jamais été formée à s’exprimer dans les médias ni à préparer un discours. Malgré l’aide de sa conseillère et son assistante, elle était par ailleurs dépassée par les sollicitations des médias et par l’énergie qu’il fallait déployer pour voyager avec le petit budget qui leur était alloué.
5. Plan d’action, étape 1 : éliminer les facteurs de stress
Dans les six derniers mois de la campagne, il est convenu qu’elle a besoin d’une aide concrète. “Si je devais continuer à faire campagne comme une candidate, je devais être soutenue comme une candidate. Je me protégerais en m’organisant mieux, en réclamant les moyens pour faire le boulot. (…)
Le staff de Barack a décidé d’étoffer mon équipe : il m’a affecté une assistante pour gérer mon emploi du temps et une assistante personnelle dont le calme m’aiderait à garder les pieds sur terre dans les moments les plus stressants. (…) La campagne a également mis un avion à ma disposition, ce qui facilitait beaucoup mes déplacements. Je pouvais maintenant profiter du temps de vol pour donner des interviews aux médias, me faire coiffer et maquiller, et amener Sasha et Malia (ses filles) avec moi sans dépenser plus. Tout cela me soulageait. Et je crois que c’est ce qui m’a permis de sourire davantage, d’être moins sur la défensive.”
6. Plan d’action, étape 2 : optimiser la communication avec un conseil permanent
Une spécialiste de la communication, pleine de bon sens et rompue aux arcanes de la politique, Stéphanie Cutter, a rejoint son équipe. “Elle m’a aidé à affiner mon message et à structurer mon exposé, à partir d’un grand discours que j’avais prononcé à la fin de l’été. (…) En m’aidant à préparer mes interventions publiques, Stéphanie m’a conseillé de jouer sur mes forces et de me rappeler ce dont j’aimais le plus parler, à savoir mon amour pour mon mari et mes enfants, l’art de concilier vie professionnelle et vie familiale, et mes racines à Chicago, dont j’étais si fière.
Sachant que j’aimais bien plaisanter, elle m’a encouragée à user de mon sens de l’humour. En d’autres termes, je pouvais être moi-même. (…) Je me sentais plus à l’aise, j’avais retrouvé ma voix. (…) J’avais un impact et, en même temps, je commençais à m’amuser, à me sentir de plus en plus détendue et optimiste. (…) J’avais moins peur de suivre à nouveau mes instincts, entourée de gens en qui j’avais confiance. Lors des réunions publiques, je m’attachais à nouer des liens personnels avec les gens que je rencontrais, par petits groupes et devant des foules de plusieurs milliers de personnes, dans les discussions en coulisse et dans le feu des bains de foule.”
7. Plan d’action, étape 3 : préparer, anticiper et s’entraîner
La convention démocrate qui allait désigner Barack Obama comme candidat en août 2008, fut l’occasion pour Michelle Obama de parachever son apprentissage des techniques de prise de parole. “J’ai travaillé pour la première fois avec une jeune et brillante rédactrice, Sarah Hurwitz, qui m’a aidée à ordonner mes idées dans un discours de 17 minutes. À la fin août, après des semaines de préparation minutieuse, je suis montée sur le podium face à un auditoire de 20 000 personnes et à des millions de téléspectateurs, je m’apprêtais à dire au monde qui j’étais réellement. (…) Quand j’ai rendu le micro, des salves d’applaudissements se sont élevées de la salle. J’ai poussé un grand soupir de soulagement. Peut-être avais-je enfin réussi à changer la perception que l’opinion avait de moi.”
8. Conclusion : on sait qu’on a réussi quand on commence à s’amuser
“Ma vision des choses commençaient à s’inverser. Les estrades, les assistances, les éclairages éblouissants, les applaudissements… tout cela devenait plus normal que je ne l’aurais cru. À présent, je vivais pour les instants qui n’avaient été ni préparés ni répétés, loin des caméras et des flashs des journalistes, où personne ne jouait ni ne jugeait personne, et où une vraie surprise était encore possible.”
Guilty Pleasure
Lors de la dernière étape à Los Angeles de la tournée promotionnelle de son second livre “Cette lumière en nous” sorti en 2022, Michelle Obama dévoile sa boîte à outils pour naviguer dans la vie en période d'incertitude. Elle s'ouvre à sa grande amie Oprah Winfrey pour un événement spécial où se mêlent rires, histoires personnelles, sagesse durement acquise et conseils pratiques.
Bien que ces 90 minutes d’entretien soient entièrement scriptées, c’est fait avec une telle maestria par ces deux femmes qu’on se laisse complètement emporter par “leur conversation au coin du feu”. Michelle Obama s’y dévoile drôle, honnête et accessible. Un pur moment de joie.
“Cette lumière en nous : Michelle Obama et Oprah Winfrey” est à découvrir sur Netflix.
Citation
« Ne prenez jamais de décisions basées sur la peur. Prenez des décisions basées sur l'espoir et les possibilités. Prenez des décisions basées sur ce qui devrait arriver, et non sur ce qui ne devrait pas arriver. »
Michelle Obama, Discours de campagne à Phoenix, 2008
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